Guillaume Villeneuve, traducteur
Accueil > Extraits > XXe siècle > Hugh Thomas > La Traite des Noirs > Christophe Colomb et la Traite

Christophe Colomb et la Traite

samedi 2 février 2008, par Guillaume Villeneuve


LES ESCLAVES LES MEILLEURS ET LES PLUS FORTS QUI SE PUISSENT TROUVER

Le roi Ferdinand le Catholique ordonnant d’envoyer 200 Africains au Nouveau Monde en 1510

Le grand rêveur qu’était Christophe Colomb vécut un certain temps sur la plantation portugaise de Madère, avec sa vaste population d’esclaves. Il épousa la fille de Bartolomé Perestrelo - un compatriote génois d’un certain âge, jadis protégé du prince Henri, et qui était le gouverneur de la deuxième île de l’archipel, en importance, Porto Santo. Colomb avait également travaillé comme négociant en sucre pour les banquiers génois Centurioni ; et il avait visité le fort portugais d’Elmina, sur la côte de Guinée, sans doute en 1482, peu après sa fondation - dix ans avant de faire sa première traversée de la “Mer verte de l’obscurité”. Colomb avait vu des esclaves au travail dans les plantations de sucre des îles Canaries qu’il connaissait bien, comme à Séville et à Lisbonne.

Colomb était donc le produit de la nouvelle société atlantique reposant sur l’esclavage. Il fait la preuve de sa parfaite connaissance de la Traite d’Africains par sa lettre aux rois catholiques de 1496 dans laquelle il souligne que lorsqu’il se trouvait dans les îles du Cap-Vert les esclaves se vendaient 8000 maravedis par tête. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce qu’il ait emmené quelques esclaves noirs vers les Caraïbes lors de son premier ou deuxième voyage. Mais on n’en a pas de confirmation ; la tradition veut qu’Alonso Pietro, le pilote de son bateau préféré, la Niña, sur laquelle il revint du premier voyage, ait été un mulâtre ; et qu’un Africain libre ait accompagné Colomb lors de son deuxième voyage de 1493. Pour son troisième voyage, Colomb appareilla depuis les îles du Cap-Vert où il aurait facilement pu choisir un ou deux Africains. On suppose que des esclaves noirs ont pu parvenir au Nouveau Monde avant la fin du XVè siècle, sans en détenir de preuves.

Pendant ce temps, en 1493, le pape Alexandre VI, neveu du premier pape Borgia Calixte III, traçait une ligne sur le monde pour délimiter les zones d’influence de l’Espagne et du Portugal. Ce qu’un Borgia avait commencé, un autre le finissait donc. Le Traité de Tordesillas qui s’ensuivit divisa le monde d’une manière qui l’influença à jamais, bien que cette division, établissant une ligne à 270 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert, demeure contestée jusqu’en 1777.

Décidé à justifier ses découvertes, et faute de beaucoup d’or aux Caraïbes, Colomb renvoya de Santo Domingo à son ami florentin de Séville, Juanotto Berardi, l’associé de Marchionni, la première cargaison d’esclaves dont on sache qu’elle ait traversé l’Atlantique : des Indiens Taïnos, et dans le sens ouest-est. Ces hommes et ces femmes n’étaient pas natifs d’Hispaniola, mais des prisonniers d’autres îles que Colomb jugeait cannibales, pour la seule raison qu’ils lui avaient résisté, bien qu’ils ne mangeassent la chair de leurs prisonniers que pour s’en approprier la valeur. De cette cargaison, emmenée en Espagne par Antonio de Torres [1], on ne sait rien de plus mais Torres revint aux Caraïbes et rapporta l’année suivante un plus gros envoi : 400 esclaves. La moitié de ces malheureux mourut en entrant sur les eaux espagnoles : “Pour cause, ce me semble, de froid inhabituel”, écrit Michele Cuneo, l’un des Génois se trouvant à bord. Amerigo Vespucci, qui travaillait encore pour Berardi, hérita du reste. Le roi ordonna que ces esclaves fussent vendus à Séville le 12 avril 1495, mais le lendemain la vente fut annulée, car on doutait de la légalité du dispositif. Cuneo ajoute : “Ces gens n’ont pas l’habitude du travail pénible, ils souffrent du froid et ne vivent pas longtemps.” [2]

En 1496, Colomb regagna l’Espagne avec trente Indiens dont il espérait se débarrasser en les vendant. De fait, ils atteignirent 1500 maravedis chacun mais la reine ordonna à Juan Rodriguez de Fonseca, jeune diacre sévillan de bonne famille, de retarder une fois encore la vente jusqu’au règlement des détails juridiques. Il n’en est pas moins sûr que certains esclaves de ces cargaisons furent répartis parmi les rameurs des galères royales. À la fin des années 1490, Colomb songeait à dépêcher en Espagne 4000 esclaves par an, ce qui lui rapporterait 20 000 000 de maravedis, pour une mise de 3 000 000 seulement. Qu’il ait pensé que l’île pourrait produire autant d’esclaves sur une base régulière laisse supposer que la population indienne n’avait aucunement entamé son déclin vertigineux.

La Traite des Noirs, Paris 2006, début du chapitre 6.

Notes

[1Ce Torres était le frère de Pedro de Torres, échanson du prince Jean, et le fils de Juan Velasquez, échanson du roi : l’un des nombreux membres éminents de la famille Velasquez présents à la Cour d’Espagne. Un autre fut Diego Velasquez, le premier gouverneur de Cuba.

[2Alice B. Gould, Nueva lista documentada de los tripulantes de Colón en 1492 (Madrid, 1984), p. 304 sqq.


Mentions légales | Crédits