Guillaume Villeneuve, traducteur
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Le seul négrier des États-Unis pendu

samedi 2 février 2008, par Guillaume Villeneuve


La “Société anglaise et étrangère pour l’abolition de l’esclavage” semblait s’orienter, lors d’une conférence dans la demeure de lord Brougham en juin 1861, vers l’abandon de sa politique pacifiste constante pour soutenir celle de Palmerston. Mais la guerre ne pouvait constituer une réponse.

Une partie de la solution reposait dans la garantie d’une action juridique efficace en Amérique du Nord : pour la première fois, celle-ci semblait imminente. En août 1860, le commandant Sylvester Gordon, de la marine états-unienne, sur le San Jacinto, captura le négrier Erie, commandé par son homonyme Nathaniel Gordon, à l’ouest de Cabinda, avec 900 esclaves à bord. Gordon, dont on disait qu’il avait effectué au moins trois traversées négrières avant (et l’Erie s’appelait alors le Juliet) avait équipé son bateau à Cuba puis remonté le Congo sur 45 milles nautiques pour embarquer ses prisonniers africains. Il voguait déjà en pleine mer et s’orientait vers Cuba quand on l’arraisonna. Ses esclaves furent emmenés au Libéria et lui-même à New York. On vendit le bateau et le magistrat William Shipman, qui entendait sa première affaire d’esclavage, jugea Gordon et ses officiers William Warren et David Hale.

Pour sa défense, Gordon assura avoir vendu l’Erie à un Espagnol avant l’embarquement des prisonniers et qu’il n’était qu’un passager au moment de l’arrestation. Mais plusieurs marins témoignèrent que Gordon leur avait offert un dollar pour chaque tête débarquée saine et sauve à Cuba. Après un procès entaché d’un vice de procédure, l’accusé fut condamné à la pendaison, à la surprise générale. Le juge Shipman déclara : “Ne croyez pas que parce que d’autres ont partagé la culpabilité de cette aventure, la vôtre en soit diminuée. Mais rappelez-vous les terribles avertissements de votre Bible : ‘Quoiqu’ils se tiennent par la main, les impies ne resteront pas impunis.’”

La sentence ne peut qu’avoir stupéfié Gordon. D’innombrables capitaines de négriers avaient été capturés, mais aucun sévèrement puni, encore moins pendu, même si le crime de Traite était passible de mort depuis 1820. Entre 1837 et 1860, les magistrats des États-Unis avaient eu à connaître de 74 affaires de Traite, mais peu de responsables avaient été condamnés et seulement à des châtiments mineurs qu’ils avaient souvent pu éviter. Gordon absorba de la strychnine, mais le médecin de la prison le tira d’affaire pour le gibet. Il fut pendu en public le 21 février 1862, le premier et seul citoyen des États-Unis à avoir été exécuté pour la Traite des Noirs. [...]

L’administration du Président Lincoln souhaitait abolir la Traite des Noirs, mais la guerre l’obligeait à mobiliser tous ses navires : elle rappela les escadres d’Afrique et de Cuba, ce qui risquait de réactiver le trafic. Avoir pendu le capitaine Nathaniel Gordon de l’Erie n’avait eu aucun effet dissuasif. La diplomatie restait nécessaire.

La Traite des Noirs, pp. 834-6


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