Guillaume Villeneuve, traducteur
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Une lettre au traducteur - Éloge de la Reine Elisabeth II

samedi 9 septembre 2017, par Guillaume Villeneuve


Toussaint 1991

Et à présent, mon cher Guillaume, je t’envoie enfin les deux portraits de ton antique ami, si décrépit, l’un pris dans sa glorieuse maturité, l’autre dans son déclin. Puissent-ils te rappeler celui auquel tu as rendu l’insigne service de révéler son existence d’antan à tes compatriotes.

Alvilde [1] m’a dit que tu as téléphoné en mon absence - j’assistais en effet à l’Ouverture du Parlement depuis la galerie royale, ébloui par la procession des hallebardiers aux drôles de chapeaux ceints d’une guirlande de fleurs des champs, par les gentilshommes de la Garde aux casques de fer piqués d’ondoyantes plumes de cygne, par le Grand Chambellan, le jeune, beau et fougueux marquis de Cholmondeley, par le Comte-Maréchal à la mine d’ours en peluche, hirsute mais débonnaire, tout échevelé dans sa robe mangée aux mites qui remonte au règne de la reine Anne, par le Lord Chancelier vêtu de soie noire liserée d’or, par les hérauts écarlates en culottes de soie et bas mauves, portant tabards comme des rois de jeu de cartes, par les dames d’honneur de la Reine, allant par trois, dénudées jusqu’à la taille (de dos !), parées de colliers de diamants enserrant leur gorge, ébloui par le chapeau de gueule rebrassé d’hermine brandi sur sa hampe, par l’épée d’apparat portée par deux gentilshommes tant elle est lourde - et la Reine, assez avancée en âge à présent, à la poitrine généreuse, mais si majestueuse, arborant la couronne impériale, son poids énorme, comme s’il s’agissait d’un minuscule nid d’oiseau, sans sourire, le regard fixé droit devant elle, sa traîne interminable bruissant fort sur le tapis bleu constellé d’or et relevée par deux jolis pages de vieille noblesse (à mon avis du moins, et non fils de pairs à vie).

On ne vit jamais si glorieux spectacle, à l’Alice au Pays des Merveilles, si prégnant de traditions, de médiévalisme, de symbolisme et d’éternité. Puisse ce magnifique cérémonial n’être jamais balayé par les gauchistes puritains et les rabat-joies, tel est le vœu fervent de ton ami repentant lui-même. [2]

Jim

(Traduction septembre 2017)

Notes

[1Il s’agit de la femme de Jim, née Bridges, + 1994.

[2Jim joue ici, avec le français, sur le titre de son livre et sur son nom.


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