Guillaume Villeneuve, traducteur
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Jean Ango, La France et le Mexique

dimanche 26 février 2012, par Guillaume Villeneuve


Enfin, à mi-chemin entre les Açores et l’Espagne, la flottille fut attaquée par un pirate français, Jean Fleury, natif de Honfleur, qui opérait avec six bateaux sous le commandement général du premier marin de l’époque, en France, Jean Ango, de Dieppe. Ce dernier, sans doute informé des richesses de ce « nouveau pays d’or », ayant entendu parler des premiers présents à Charles Quint exposés à Bruxelles en 1520, ordonna à Fleury de croiser dans les parages des Açores. Fleury s’empara des deux principales nefs et les ramena, avec Alonso de Avila, le trésor et tous les somptueux cadeaux se trouvant à bord, à Dieppe. [1]. Fleury fut le premier des innombrables pirates qui se servirent des guerres opposant la France à l’Espagne pour justifier le vol en haute mer : il fut l’un des plus efficaces. [2] François Ier les a justifiés : « J’aimerais voir la clause du testament d’Adam qui exclut la France du partage du monde. » [3] C’est ainsi que les grands cadeaux d’Hernan Cortés furent perdus pour leurs destinataires. C’est ainsi que la France fait irruption dans l’histoire moderne du Mexique.

Entre-temps, le troisième bateau, chargé du fondeur Benavides et du secrétaire Juan de Ribera, était rentré, cahin-caha, à Séville.

Nous avons un ultime aperçu de ces présents en 1527. Cette année-là, Ango donna une fête dans sa maison de Dieppe. Des invités vinrent même de Paris. On représenta un masque intitulé « Les Biens », composé par un de ses grands marins, Jean Parmentier, qui était aussi un homme de lettres. [4] Toutes les richesses de la Terre y étaient symboliquement décrites. On vit passer des héros de l’Antiquité dans d’étranges costumes qui avaient sans doute été volés aux Espagnols. Il y eut par exemple un Alexandre le Grand sur une litière censée avoir été faite par les Indiens (ce qui était approprié dans la mesure où Cortés avait commencé de se considérer comme un nouvel Alexandre). Il était précédé d’un page emplumé et à demi-nu, brandissant une épée à deux mains. [5] Après quoi, nous perdons tout à fait la trace des trésors du conquistador, exception faite d’une grosse parure de jade où l’amiral Philippe de Brion Chabot vit une émeraude. [6] Peut-être en exhumera-t-on un jour quelque vestige dans les jardins de Varengeville qui subsistent, et cela bien que leur vente ait permis au corsaire de financer la reconstruction de l’église de Saint-Jacques à Dieppe ; ou lui ait permis d’engager des artistes italiens pour orner son nouveau manoir de Varengeville de médaillons italiens de lui-même, de sa femme, du roi et de la reine. [7]. Mais il est certain que l’essentiel de l’or fut fondu, les turquoises desserties et qu’on laissa les plumes tomber en poussière dans quelque armoire de Varengeville.

La conquête du Mexique, pp. 728-9, Paris 2011.

Notes

[1D del C, II, 143. Jean Fleury serait capturé en 1525 lors d’une autre expédition de pirate et pendu avec ses capitaines Michel Fère et Mézières. Il offrit à celui qui l’avait pris, Martin Perez de Irizar, 30 000 ducats pour l’aider à s’échapper. Pérez refusa et fut anobli de ce fait. Avila resta emprisonné trois ans à La Rochelle avant d’être échangé après la bataille de Pavie (C de S, 752). Voir sa lettre à Charles Quint qui décrit la bataille, in Muñoz, A/103. On trouvera d’autres lettres sur le même sujet ibid., 288-9.

[2Sur Fleury et Ango, voir Eugène Guénin, Ango et ses pilotes (Paris, 1901).

[3A. Thomazi, Les flottes d’or (Paris, 1956).

[4Parmentier a découvert Pernambouc en 1520, voyagé en Chine en 1529, été assassiné à Sumatra en 1530. Il traduisit Salluste, composa des poèmes et des masques.

[5Thomazi ibid., 45 ; Charles de la Roncière, Histoire de la Marine (Paris, 1934), 249.

[6Martyr, II, 356. Le Museum du Jardin des Plantes, à Paris, a jadis exposé un « miroir de Montezuma » prétendument rapporté par Fleury. Mais la plupart des experts le croient fabriqué au XIXe siècle.

[7Guénin, ibid., chap. II.


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